La Malle aux souvenirs
Pièce de collection que les antiquaires aiment aujourd’hui
débusquer dans les greniers de nos aïeuls pour les exhiber sous les lumières
d’une salle de vente aux enchères, la malle-aventurière hier globetrotteuse,
aujourd’hui retraitée en malle à souvenirs, doit être bien nostalgique en
songeant à son âge d’or...
La malle-déco :
Élément de décoration exhalant
une odeur de cire et de rusticité chère à notre ère en quête d’authenticité,
elle trône aujourd’hui, gardienne du temps, au coin du feu de notre salon,
quand elle n’est pas recyclée en coffre à jouets ou en assise étoffée de
coussins dans les chambres d’adolescents. Si elle s’est aujourd’hui sédentarisée,
la malle, jadis fidèle compagnon du voyageur, modelée selon les besoins, les
goûts et les modes d’une époque, témoigne d’un monde à jamais disparu. Parce
qu’elle a accompagné l’essor du rail et la révolution des transports,
s’adaptant aussi bien au toit d’une diligence, aux filets d’un train ou à la
cabine d’un bateau, elle traduit les aspirations d’une caste aristocratique
qui, goûtant au plaisir fraîchement acquis de sillonner l’Europe en train et de
rejoindre l’Hexagone à voile et à vapeur, ne peut encore partir à l’aventure
sans emmener avec soi tout le nécessaire superflu...
(Malle décorative)
Les ancêtres de la malle :
Au Moyen-âge, le pèlerin pénitent en route vers la Terre
Sainte, ne s’encombre guère de ce superflu : un ballot rudimentaire pour
seul bagage, il jette sur son épaule le minimum vital. La Renaissance venue, il
est de plus en plus inconvenant de partir les mains vides ; hommes
d’expéditions et femmes de voyageurs partent sur les routes, traînant derrière
eux, dans des coffres en bois richement sculptés, leurs effets personnels.
Ainsi le mot « layetier » apparaît-il en 1582, sous le règne d’Henri IV. Il
doit son nom au petit coffre de bois, ou « laie » qui, au Moyen-âge,
permettait de conserver vêtements, bijoux et documents de valeur. Précédemment,
aux environs de 1521, sous le règne de François Ier, le registre des
professions fait état du métier d’ « emballeur ». Celui-ci
confectionne des caisses sur mesure capables de résister aux chocs et de
protéger toutes sortes d’objets à transporter. Quant à la malle, qui tire sa
racine du francique malha (sacoche), le
terme apparaît bien plus tôt, aux environs de l’an 1000 mais, avant de revêtir
le sens que nous lui connaissons — « un coffre destiné à contenir les
effets qu’on emporte en voyage » (Le Robert) —, elle reste longtemps figée
en meuble-bahut, faisant office de siège et de table.
(Malle-lit, Louis Vuitton)
Du layetier-emballeur au malletier :
Le XVIIIe siècle part à l’assaut du monde, les routes se multiplient, les diligences acheminent la noblesse de robe vers des villes de cure, glissant sur l’impériale, sacs, malles, paniers et coffres. Mais il faut attendre la Révolution Industrielle, les longs voyages en chemin de fer et le développement des croisières pour que le layetier et l’emballeur apposent un trait d’union entre leur profession. L’engouement pour les voyages lui profite tant et si bien que, face à la demande croissante, le layetier-emballeur doit désormais exercer dans les grandes villes. En 1854, on compte une centaine de layetier-emballeurs à Paris, mais on parle toujours de « coffres »… François Goyard — le successeur du layetier-coffretier fournisseur de la duchesse de Berry — et Louis Vuitton — le layetier-emballeur attitré de l’impératrice Eugénie — imposeront le terme de « malle ». Tandis qu’ils observent partir les trains bondés de voyageurs, remplis à ras bord de lourdes caisses omnipotentes, ils pensent déjà à ces malles pratiques, esthétiques et réutilisables qu’ils projettent de façonner. Le marché, fortement dominé par l’Angleterre, existe déjà, mais reste encore à révolutionner...
(Malle bombée)
L’âge d’or de la malle :
Peu de temps après avoir fondé sa maison, Louis Vuitton
invente, en 1858, la malle à casiers, qui comme son non nom l’indique met de
l’ordre dans la malle. En 1868, il échafaude pour l’explorateur Savorgnan de
Brazza, en partance pour l’Afrique, une malle-lit escamotable et plus tard une
malle-secrétaire à tiroirs secrets inviolables — si inviolables qu’il
faudra, à la mort de l’illustre explorateur, appeler un maître Vuitton pour
forcer ce coffre-fort… Les commandes spéciales seront un outil commercial
efficace pour fidéliser la clientèle tout comme les motifs et les toiles
monogrammes — de la toile « gris Trianon » (1854), à la toile
« Monogram LV» (1896), en passant par la toile « Damier » (1889) — le seront pour lutter
contre la contrefaçon. À partir de 1875, l’abandon de l’encombrante crinoline
met sur le marché des malles-penderies bombées qui deviendront plates pour
s’empiler judicieusement dans les trains : plus besoin de déballer ses
affaires, la malle se fait placard ambulant. Les malles cabines (1890) se
glisseront ensuite sous les couchettes des cabines de paquebot, les malles
d’automobiles (1898) s’accrocheront à l‘arrière des premiers véhicules encore
dépourvus de coffres et les malles aéro (1910) se fixeront de chaque côté des
montgolfières pour mieux les lester.
(Malle cabine Moynat)
D’une époque à l’autre, la malle s’adapte
volontiers aux nouveaux modes de déplacements et aux nouveaux modes
vestimentaires. Qu’elle soit boîte à chapeaux pour les divas de la Belle Epoque,
nécessaire de toilette pour les stars des années trente, panier de pique-nique
pour trente-six couverts, elle reflète un certain art de vivre indispensable
aux aristocrates du voyage, aux marchands, aux militaires ou aux hommes
d’affaires.
(Malle penderie Vuitton)
Du malletier au maroquinier :
En vogue jusqu’aux années 1940, la malle disparait peu à peu au profit de la valise et de bagages plus légers. Depuis que le voyage aérien a pratiquement remplacé la croisière, elle est devenue obsolète ; les tapis roulants de nos aéroports auront eu raison de sa capacité d’adaptation. Les malletiers quant à eux — Vuitton, Hermès, Pinel&Pinel ou Ephtée — se sont reconvertis en « maroquinier de luxe » ou en « designer d’accessoires » afin de satisfaire au mieux les exigences (ou caprices) sur mesure des voyageurs du XXIe siècle.
(Malle à I-Pod, Louis Vuitton)
Article publié dans Rosebuzz magazine, n°"Nomade", juin 2010.
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