Bio Cristobal Balenciaga
Il y a de cela 4 ans, j'effectuais un stage de 10 mois au sein des archives Balenciaga afin de préparer l'exposition "Balenciaga Paris", tenue au Musée des Arts Décoratifs, en juillet 2006. Suite à cette immersion dans l'univers de Cristobal, j'avais ensuite pu rédiger quelques textes historiques pour le site www.balenciaga.com (dont vous retrouverez quelques fragments dans cette bio).
Quand Magazine me commanda une biographie sur le grand Cristobal, je me replongeai avec plaisir dans mes notes et documents entassés avant de me laisser submerger par mes souvenirs... Recherches iconographiques, datations, mannequinage, juponnages... Tout un vocabulaire muséographique me rappella à mon premier amour : l'histoire du costume.
- 1895 : Naissance à Guetaria (village de pêcheurs perché sur la côte basque espagnole), d’un père commandant-chalutier disparu en mer, d’une mère couturière particulière.
- 1905 : Plus enclin à la
couture qu’à la pêche, le petit Cristobal observe d’un œil rêveur les robes
venues de Paris que l’aristocrate famille des Casa Torres, installée l’été à
Guetaria, promène le long de la baie. Quand un dimanche de bénitier, il croise
la marquise de Casa Torres en robe Worth qui demande au jeune garçon ce qu’il souhaite
exercer comme métier plus tard, il répond : « Je ferai des robes
comme celle que vous portez ! ».
Pris au mot, il lui confectionne une robe couture qui ébahit la marquise,
devenant ainsi son petit protégé.
- 1910 : La marquise l’emmène à Paris, lui fait la courte échelle chez un tailleur madrilène et le seconde à l’ouverture de son premier atelier de couture. Le projet prématuré, d’accueillir une clientèle fortunée, échoue cependant. Le jeune couturier de 15 ans doit encore faire ses classes.
- 1915 : Devenu chef de rayon aux « Magasins du Louvre » de San Sebastian, il fait chaque saison la tournée des maisons de couture parisiennes les plus réputées. « Il ne se trompe jamais, il met toujours le doigt sur le meilleur numéro. » constate Madeleine Vionnet. L’œil désormais averti, pressé d’ouvrir sa maison de couture, il choisit San Sebastian, résidence d’été de la cour, et lieu rêvé pour se faire un nom…
- 1928 : Le succès grandissant de sa petite entreprise lui permet d’ouvrir une succursale à Madrid. Mais la mort du dictateur Primo de Rivera (1930) — dont la poigne de fer avait protégé la monarchie — et l’accession au pouvoir des Républicains, porte un coup fatal à la vie de cour. Conduit à la faillite, Cristobal part chasser la baronne à Barcelone.
- 1937 : Chassé par la
guerre civile espagnole, il s’exile à Paris. Grâce à l’aide financière de
quelques amis espagnols généreux, il peut ouvrir sa maison, au 10 Avenue George
V. Les marchands de tissus lui font crédit. Le faux pas n’est pas permis. Remarqué
par la simplicité linéaire de ses modèles, la presse applaudit : « Balenciaga
[…] demeure attaché à la simplicité des lignes, à l’absence d’ornements
superflus et à un style jeune. »[1]
Mona von Bismarck, la begum Aga Khan, la duchesse de Windsor, Marlene Dietrich,
Ingrid Bergman deviennent ses clientes régulières.
1945 : Grâce à elles, le
couturier le plus cher de la place de Paris — « Chez lui, pas de robes
dont le prix serait inférieur à 6000 francs. »[2]
—, survit à la guerre sans dommages et peut même rouvrir ses maisons
espagnoles. Mais tandis qu’explose le New Look, Cristobal reste stoïque —
« Pas de changement radical avant que cette période de
transition ne soit terminée »
déclare-t-il pacifiquement – avant de sombrer dans une profonde dépression,
suite au décès de son amant et associé, Wladzio d’Attainville. Pour peu, il
fermerait sa maison. Christian Dior lui conjure de n’en rien faire…
1952 : Et de suivre son
exemple… Mais, revenu écœuré d’un séjour en Amérique où il découvre la
confection à la chaîne, il se jure de ne jamais succomber au règne du
machinisme. Pas de course aux ourlets, pas de sensationnalisme, pas de vocation
internationale. Dans la réclusion
quasi monacale de son atelier, « l’homme invisible de la couture
française »[3] crée des
pièces uniques et opère secrètement ses petites révolutions... La
première : l’escamotage de la taille, afin que le corps ne soit jamais
inféodé à la robe. En antidote au New Look, il rend caduque la guêpière. Ni
baleines, ni jupons nécessaires à la tenue de ses robes, dont seuls la coupe et
le tissu seront ses tuteurs, décontenançant ainsi certaines journalistes par
son esthétique intransigeante : « Les robes de Balenciaga
n’avantagent pas les femmes ! » , « Balenciaga
crée des robes destinées idéalement à des femmes fortes ! » chicanent-elles, au souvenir des paroles de
l’essayeuse : « Un soupçon de ventre… cela ne déplaît pas à M.
Balenciaga… » Inflexible, Balenciaga
persiste et signe : « Une belle robe est une robe qui suit le
corps, et non le reste. »
1957 : S’ensuivent les
blouses de paysan sans col, les imperméables en cracknyl (1950), la marinière
(1951), la première tunique (1955), les capes et robes-sacs (1956), la robe
chemise (1957)… « Quand la charpente est bonne, on peut construire ce que
l’on veut. » démontre-t-il à chaque collection, se faisant désormais
surnommer « l’architecte de la mode ». Des poncifs qui le laissent de
marbre, lui qui n’a jamais suivi que sa mode à lui — « Des
changements ? Je ne change jamais mes robes. » — qui ne dîne jamais en ville, qui ne paraît jamais dans son
salon de couture — « Ne vous dépensez-pas en société » —, qui ne se laisse pas photographier et qui a
horreur qu’on parle de lui. Au point que la presse se demande parfois si le
moine de la couture existe vraiment… Lassé de ces babillages de presse, irrité
que ses modèles soient manipulés, photographiés, commentés, il décide avec son
compère Hubert de Givenchy, de tenir la presse à l’écart de leurs collections
afin de couper court à la copie. Priorité aux acheteurs. La présentation-presse
des modèles se fera donc un mois après les autres couturiers. Rideau !
1960 : Ce qui n’empêche pas
les files d’attente devant son salon trop petit qui tient difficilement 90
personnes (contre 300 ou 400 ailleurs), celui-ci n’est pas une salle de
spectacle conçue pour accueillir le-Tout-Paris. On peut bien lui parler
d’extension ou lui soumettre de fabuleuses propositions pour faire
des « séries de gros » aux Etats-Unis, il se contente toujours
de hausser les épaules. « Que pourrais-je acheter encore ? J’ai déjà une auto et trop de maisons. »[4]
Il veut simplement que l’on ne trouve pas une trace de factures en souffrance
dans ses livres de compte, que l’on n’arrive jamais en retard aux essayages et
que l’on ne le dérange pas pour rien. Comptons pour cela sur Melle Renée, mère
supérieure du couvent, qui dicte le règlement aux clientes — « pas
de robes prêtées, pas de prix de faveur »
—, ainsi qu’aux mannequins-robots — « pas de sourire, pas de
parole » — défilant mécaniquement, le
visage impassible, la tête haute et les hanches basculées vers l’avant. « Une
femme distinguée a toujours l’air désagréable »[5].
Mannequins pas toujours « ravissants », lui fait-on remarquer mais, « Une
robe doit être assez belle pour s’imposer, peu m’importe le mannequin » rétorque-t-il à ses détracteurs.
1965 : Sévère, exigeant, taciturne, « En une seule journée, il pouvait mener à bien l’essayage de 180 modèles, avec tous leurs accessoires, attentif au moindre détail et prêt à le réaliser de ses propres mains. »[6] se souvient un de ses collaborateurs. Enfermé à double tour dans son laboratoire expérimental, dans une quête absolue de volume et de dépouillement, il gomme couture, pinces, ornements, façonnant une coupe savante sous une apparente simplicité. Le tissu étant prélude à la création, ainsi préfère-t-il élaborer son propre matériau, en étroite collaboration avec la Maison Abraham : gazar, zagar et ciré matelassé donnent matière et consistance à ses « vêtements monuments ». « D’abord, il y a le tissu ; après seulement le couturier » professe-t-il.
1968 : De la ligne tonneau (1946-47), ballon » (1950), aux robes « Baby-Doll », « Queue de paon » (1958), saris (1965), « Chaque collection est une leçon », proclame la presse. La dernière (Printemps-été 1968), avec ses minishorts et ses tuniques trompe-l’œil, sera même comparée à une « Roll’s ». Pourtant, le dernier prince de la haute-couture décide de tout arrêter. Refusant catégoriquement de se diversifier vers un prêt-à-porter de masse, qu’il juge « vulgaire », inadaptable à son art et à son monde de luxe ne vivant que par et pour une clientèle privilégiée, il ferme sa maison parisienne et ses trois maisons espagnoles. «Balenciaga ferme, la mode ne sera plus jamais la même » s’apitoie l’Evening Standard. Quant à la comtesse de Bismarck, elle s’enferme trois jours dans sa chambre…
1972 : Couturier retraité —
« Je visiterai l’Espagne quand je serai retiré. J’aurai tout le
temps. » —, il met fin à son sacerdoce
et retourne en pélerinage sur sa terre natale admirer une dernière fois les
horizons délavés de la mer Cantarbrique et les nuanciers de vignobles valonnés
qui l’ont tant inspiré, avant de disparaître par une ultime porte dérobée…
« Balenciaga était le seul à oser faire ce qu’il aimait. » dixit Elsa Schiaparelli.
Article publié dans Magazine, N° 54, Avril-mai 2010.
[1] New York Herald Tribune, 06/08/1937.
[2] Courrier de la Mode Parisienne, été 1939.
[3] Elle, 23/10/1950.
[4] Marie-Claire,
avril 1960, par Bettina Ballard.
[5] Cristobal Balenciaga cite Salvador Dali
[6] Fernando Martinez Herreros, collaborateur de M. Balenciaga.