Le retour de Denise Poiret (épisode 3)
Bien sûr, il y a une vie après Poiret...
Je ne vais pas vous réécrire mon mémoire, rassurez-vous, mais simplement illustrer l'avant-gardisme de Denise Poiret.
Denise Poiret, une femme libérée ?
(Poiret, Y. Deslandres)
C'est cette robe, présente dans la vente, qui m'a poussée à la confidence:
Vue sous cet angle (Drouot= moquette pourrie+photo= mauvaise qualité car piètre photographe) c'est sûr, ce n'est pas très parlant.
Peut-être préférez-vous la voir à plat ?
ou portée ?
Oui, c'est toujours mieux porté... Vous remarquerez d'ailleurs que cette robe mise en vente la semaine dernière n'est pas la même que celle sur la photo, beaucoup plus échancrée, pour ne pas dire outrageusement décolletée...
Une autre photo, très posée... (Paul Poiret tenant l'objectif)
Avec en toile de fond, ce tableau de l'artiste Kees Van Dongen — peintre néerlandais installé à Paris en 1897, Fauviste, rattrapé au vol par la poigne de Poiret qui le crucifie au-dessus de son lit — et qui porte si bien son nom : "Quiétude".
Nous pourrions écrire un roman sur ces photos volées ; tant de détails, tant d'objets d'art, tant d'indices qui nous mettent sur la piste de paul et Denise...
Remettons-nous dans le contexte :
1910, avant la première guerre mondiale, à l'époque où Cocottes corsetées et femmes de boudoir se pavanent à Longchamp le derrière en cul de poule (mode des cul-de-Paris) et le buste arnaché dans des sangles lacérées (je n'ose imaginer cette torture des corsets, impossible de bouger, de s'asseoir, de tousser ; comment les femmes ont-elles pu s'imposer pareil souffrances ? Et ces messieurs leur infliger cela ?)
Une liberté qui n'a donc pas sa place dans cette société soumise aux conventions et au protocole vestimentaire.
Et Poiret de n'en faire qu'en sa tête. De bannir ces objets de torture pour encenser la féminité, car il aime les femmes à en perdre la raison — impossible jusqu'à ce jour de déchiffrer le nombre de maîtresses qu'il a eu... Et Denise, de respirer le grand air dans son jardin du Pavillon d'Antin, les pieds dans l'herbe, le corps en apesanteur. Et tout cela avec une ineffable spontanéïté, comme si jamais il n'y avait eu de luttes féministes acharnées — les suffragettes de l'époque ont dû être stupéfaites de tant d'effronterie ; elles se battaient pour leurs droits, mais pas encore pour leur liberté sexuelle et corporelle, le sujet reste tabou.
(Denise dans sa robe Delphinium, qu'elle nomme "robe Bonheur")
(la fameuse... Exposition chez M. Alaïa,2005)
Et de se déguiser — contrainte ou de son plein gré ? — lors des festoyades qu'organisaient chaque année son mari-couturier, amateur de franches camaraderies.
Denise était-elle aussi libérée que ces photos le prétendent ?
Par sa grâce naturelle et son physique intemporel (je la verrais très bien aujourd'hui arpenter les catwalks avec un perfecto et des bottes tarabiscotées par Pierre Hardy pour Nicolas Ghesquière; d'ailleurs elle était bien la première à porter de façon révolutionnaire des paires de bottes en cuir colorées à talons plats, et à faire scandale à son arrivée aux Etats-Unis, à peine débarquée du paquebot qui les amenaient, elle et son mari, en tournée outre-atlantique), elle n'en reste pas moins une exception.
C'est pourquoi ça ne m'étonne pas que ces petites paires de bottines à lacets en suédine vert, datant du milieu du XIXe (de la dernière vente), aient appartenu à Denise...
Une femme tout simplement en avance sur son temps...